Ils ne voulaient faire du mal à personne. C'est ce qu'ils disaient. Personne ne veut jamais de mal à personne. Ce ne sont que de malheureux accidents.
Tout dans ce monde lui paraît infiniment compliqué. La politique, le Conseil, la religion, ces bruits et résistances. L'art en lui-même et ces contrées si vastes encore inexplorées. Ce monde mythifié, miteux, de paradoxes et de contradictions. Être un parasite en ce monde vaut mieux que de sortir de sa chrysalide pour en devenir une magnifique créature. Parce que et parfois, c'est plus amusant de regarder s'écrouler ceux qui volaient trop haut. La soif de l'oubli. La soif du pardon. Où l'alcool se balance en cascade, torrent inondant les tripes, pour venir se marier à l'hémoglobine visqueuse. Morne et vitreux l'oeil qu'on évite et les bras qui s'alourdissent d'agonie. Une ombre est là et personne ne la voit. Personne ne l'entend mais ceux qui la désirent savent comment et où la trouver.
- c'est un travail, pour toi et seulement pour toi.
Les autres ? Ils n'ont pas besoin de savoir. C'est un art au fond de soi, c'est un terrible secret. Même si le commun des mortels convulserait devant l'horreur pourfendant la banalité trop sereine des quotidiens humains. Pour lui c'est une distraction. Un travail car il faut se nourrir. Une mission répétitive dans laquelle on porte le masque de la lassitude et de l'impertinente flegme. On ne sourit pas. C'est interdit. Et le temps presse.
***
Ode déteste les sciences, il déteste le travail tout court. Il préfère le dessin comme Ann. Ses doigts tremblent en tenant d'une main nerveuse le crayon qui s'agite sur la feuille. Ils avaient un rêve, la bulle enfantine et la naïveté qui les enveloppent d'un duvet réconfortant.
Ann si belle, dans un rêve éveillé.
Une voix chantante, une douce voix.
Un jour happée par une autre plus cupide.Ode l'indécis, au milieu des vents qui soufflent et des tempêtes vives d'émotion qui se déchaînent. Il imagine sur la texture vierge d'un cahier les innombrables fugues qui le hantent, dans une frustration invisible. Et Ernst l'aîné qui ne cesse de se moquer de lui. Ils forment à eux un triangle parfait ; où il n'y a que des vérités et pas de secrets pour l'autre.
Ode aime Ann, mais il apprécie aussi Ernst. Si brillant, si scientifique et ambitieux pour dessiner l'avenir familiale. Qu'elle était la valeur des ridicules brouillons de son cadet ? Parce qu'il aurait tout accompli pour les savoir heureux, Ode ne lui en voulait pas. Il ne lui en a pas voulu durant tout ce temps à le suivre comme le font les chiens dociles face à leur maître.
Tout était mensonge pour donner à leur imaginaire l'absolu d'une immortelle idylle.
Cet acte condamnable. Celui d''avoir piétiné dédaigneusement leur rêve de ses pas d'adulte égoïste, d'avoir crevé cette bulle.
***
Ode s'était reveillé, ce jour là. Ou plutôt Wu. Ce fut un cauchemar.
Son cauchemar. Ses ongles grignotaient avidement les particules d'hémoglobines exposées sur le blanc immaculé de sa blouse. Un cygne taché de cette crasse rouge, puante. Comme il parlait des misérables rats, avec la bienveillance des altruistes, sous les projecteurs -évidemment. Dans ses yeux on n'y voyait plus la pitié hypocrite qui le caractérisait tant : Ernst feignait si bien la culpabilité dans ses iris fous, consumés de rage.
- Tu es en colère ? … tu as peur ? … tu ne dis rien...comme d'habitude.
- Il n'y a rien à dire. »
Tel était son plus grand fléau. Le silence. Wu ne parlait pas beaucoup voire jamais, seul le spectacle comptait. Car le petit secret de Ernst,
il l'aimait bien. U.C. PLEASE WAITING ...|